Leticia est de ces gens qui n'ont jamais l'air à leur place. Comme s'ils n'étaient pas censés être visibles et qu'on les dévoilait au grand jour. Fille unique, réservée, dans un foyer peu démonstratif, elle a grandi en solitaire et a toujours semblé en marge, et on le lui a bien montré. Le renfermement est devenu de la timidité à la puberté et la timidité n'a fait qu'empirer dans l'adolescence pour devenir maladive et se manifester en crises de panique qui n'ont rien arrangé à la situation.
C'est vers cette époque-là que Leticia a commencé à se plaindre d'un bourdonnement ou d'un sifflement (ou encore d'un tintement, c'est selon votre préférence) incessant qui résonnait dans son crâne. C'est aussi durant cette période qu'elle a été considérée comme absente en cours alors qu'elle était là.

C'est là le pacte qu’elle avait passé: l'acouphène, contre le don d'invisibilité. Et elle n’en finirait pas de se demander pourquoi et comment cela s’était fait.

Elle ne peut que se rendre invisible elle-même, lorsqu'elle le souhaite, et consciemment ou non, mais le « elle-même » peut aussi englober ses vêtements car c'est naturellement habillée qu'elle se visualise mentalement.

Leticia a vu un(e) psychologue quelques temps (elle peut encore le ou la voir à ce jour) et a connu une grande évolution dans sa façon d'être. Si des progrès restent peut-être à faire, elle est décidée à ne pas revivre ce qui a été son lot dans l’adolescence.
Elle a passé les concours pour l'école de médecine de Pacydna et s'est tournée vers la psychiatrie.
Elle a appris qu’elle n’était pas la seule à avoir observé l’apparition d’un pouvoir et d’un handicap à un moment de sa vie, s’est documentée (par exemple en suivant le blog d’Anne Cafoudri) et s’est bien vite aperçue que c’était plutôt un sujet tabou.
Elle s'est alors fait un objectif dans la compréhension de l'affaire et a entrepris de mettre en place une sorte de groupe de parole pour les maudits, en toute illégalité, utilisant des prétextes et des couvertures. Ceux qui s'y rendent sont peu nombreux et le plus souvent, c’est elle qui est allée les chercher. Le but est de parler du pacte, du handicap et du pouvoir qu'il a apporté, de chercher à comprendre son origine. Elle doit faire preuve d'une extrême prudence dans l'organisation des rencontres et dans la manière dont les sujets sont abordés, mais évitant par nature de prendre des risques et n’ayant pas perdu l’habitude de réfléchir à l’excès avant d’agir, elle s’avère pour l’instant assez douée à ce jeu.

C'est une habituée du Kiosque, le café-snack où travaillent Bilge Yıldız et, de temps en temps, Virgilo Pirollo. Elle aime particulièrement cet endroit car c'est une éternelle mine d'actualité et d'informations, et elle essaye d'en tirer profit. Elle soupçonne notamment Virgilo d'être « comme elle » et est bien décidée à lui tirer les vers du nez et à le rouler de force dans son groupe de parole s'il le faut.